Si nous vivions dans un pays civilisé (épris de
civilités) où les marchands, cantonnés à leur juste place, étaient vaguement respectueux des créateurs, le
dessinateur de BD Jacques Tardi aurait ces jours-ci sa juste place
sous les feux de la rampe, fêté et remercié pour l'invention
d'Adèle Blanc-Sec, le personnage indissociable de son œuvre. Las,
sur aucun des plateaux télévisés, radios ni tabloïds inondés par
le déversement médiatique lucbessonnien, de Tardi point. Gageons
qu'ayant cédé ses droits à une telle usine à faire du pognon et à
fabriquer des stars en toc (ici, une ex-miss météo de la chaine
Canal Plus, programmée Dujardin à talons), Jacques Tardi ne devait
pas non plus s'attendre à être de la fête. Qu'il se rassure, son
nom n'a pas encore été cité. Et puis Tim Burton, il a invité Lewis Carroll lui, pour le lancement de son "Alice" ?? Ho hé hein bon !
Heureusement, Tardi a une
autre actualité, la sienne.
On sait sa passion pour Paris et
la première moitié du vingtième siècle (Adèle, Nestor Burma)
mais aussi depuis quelques années pour la guerre de 14-18, avec les
deux volumes de "Putain de guerre" (textes de Jean-Pierre
Verney), "C'était la guerre des tranchées" ou "La
der des der", autant de mises en dessins des horreurs des
tranchées, puissantes, émouvantes, impressionnantes. Tardi y
revient avec cette judicieuse collection du label "Juste une
trace", mêlant images et sons. Sa femme Dominique Grange chante
dix chansons consacrées à la guerre, Jean-Pierre Verney en situe le
contexte et Tardi illustre le tout. Des photos inédites de
Pierre-Elysée Grange, poilu et grand-père de Dominique, viennent
ajouter à la douloureuse histoire du gigantesque abattoir.
Les
chansons sont parfois connues, "Le déserteur" de Vian, "La
butte rouge" et "La grève des mères" de Montéhus,
l'anonyme "Chanson de Craonne" ou "Tu n'en reviendras
pas" de Ferré d'après Aragon, parfois écrites par Dominique
Grange elle-même, "Le ravin des enfants perdus".
Accompagnée par Dominique Philippe Mira (piano), Nathanaël Malnoury
(contrebasse), Benoist Raffin (batterie/percussions) et Olivier
Manoury (bandonéon), DG chante ici sur un registre différent de
l'habitude, à mi-chemin entre réalisme et emphase à la Ferré,
même si le temps d'un excellent "Petits morts du mois d'août"
elle retrouve les accents et sa verve mélodique militants (rappel
aux temps héroïque de l'occupation de la Sorbonne).