I'm new here

Gil Scott-Heron

par James Stewart le 07/04/2010

Note: 6.0    
Morceaux qui Tuent
New York is killing me
I'll take care of you


Depuis 1994 et l'album "Spirit", il s'était évanoui dans les brumes du New York des toxicos qu'il avait si bien décrit par le passé, reprenant du service à de très rares occasions et rééditant quelques inédits de sa période phare avec Brian Jackson. "Spirit" sonnait comme un ultime témoignage cinglant sur l'arnaque de la société de l'information, prostituée assumée du complexe militaro-industriel, il y prévenait les jeunes rappeurs que la poésie, elle, ne se prostitue pas, elle est politique ou elle crève. Depuis, ces fans se repassaient les rééditions de l'une des discographies les plus passionnantes des années 70-80 comme on écoute Hendrix : putain, pourquoi ce mec est-il mort si jeune ??

Que dalle, il est nouveau ici. Et "I'm new here" le prouve. Richard Russel, le patron du label XL, plutôt consacré à la musique électronique, est à l'origine de cette nouvelle production. C'est à lui que l'on doit le programming, assez inégal, de cet album. "I come from a broken home" ouvre et ferme le disque résolument sombre et minimaliste. Morceau-hommage à sa grand mère maternelle, qui l'a en partie élevé, et pied de nez aux stéréotypes sur la famille monoparentale noire-américaine qui ne produit pas que haine et violence. Le thème de la famille est assez récurrent dans la discographie de celui qui se présentait, tantôt comme un "bluesologist", tantôt comme le traducteur de l'expérience afro-américaine. Et c'est bien le problème de ce disque, quand Gil Scott-Heron savait, dans ces textes des années 70-80, se poser en traducteur d'une certaine expérience collective, il donne aujourd'hui à son nouvel album une  dimension définitivement hagiographique.
Les vautours volent toujours dans le coin ("Your soul and mine "), ses démons continuent de l'accompagner ("Me and the devil", qui sonne comme une suite à "Home is where the hatred is"), il se demande s'il a dormi, torché trop de bières ou essayé d'écrire pendant que la nuit le perdait dans ses méandres ("Where did the night go"). Une reprise folk étonnante de Bill Callahan vient brouiller les cartes (l'éponyme "I'm new here ") et enfin, c'est sur les deux pièces majeures, "I'll take care of you" et "New York is killing me", que le duo semble avoir trouvé ses meilleures idées. La première, sûrement la plus belle chanson de l'album, sonne comme un enregistrement Motown qu'on aurait dépouillé de ses musiciens, laissant juste quelques arrangements de cordes soutenir un texte bouleversant dont on ne sait trop si Gil Scott-Heron l'a écrit pour le dire ou pour l'entendre lui être dit... La deuxième, claquements de doigts, grosse-caisse et rythmique hypnotiques, sonne comme un enregistrement d'Alan Lomax et pointe New York du doigt, justement, comme cercueil potentiel.

On est loin de l'ode au multiculturalisme présent dans "New York City" enregistré à la fin des années 70. Cet excellent "New York is killing me" nous renvoie au sentiment d'urgence qui caractérise "I'm new here" : l'urgence de chanter et d'écrire à nouveau, peu importe le support. Finalement, peut-être nous renvoie-t-il au repli sur soi individualiste de l'Amérique post-11 septembre, peut-être que ce que je viens d'écrire n'est qu'une ânerie comme on en trouve dans les chroniques de disques... Dans les deux cas, "I'm new here", même s'il va en décevoir beaucoup, est comme tous les albums du chantre des arrière-cours du rêve américain, un témoignage sans fard et indispensable de son époque.