| | | par Sophie Chambon le 21/02/2001
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| Le jazz à la sauce ibérique est à la mode. Mais l'assaisonnement ne convient pas à tous les goûts : délicatement épicé pour les uns, par trop relevé ou conditionné pour les autres. Alors quand on n'apprécie guère les espagnolades (n'en déplaise aux inconditionnels de Paco De Lucia), comment ne pas s'attendre à un artificiel cocktail folklorico-touristique jazz flamenco ! Déjà du kitsch dés la jaquette technicolor d'Arroyo que ne désavouerait pas Almodovar: orange, bleu, vermillon et pois roses ! Pourtant, ces musiques populaires, le jazz et le flamenco, issues des moiteurs du Delta ou des austères cordillères andalouses ont quelques traits communs : elles sont nées au siècle dernier, et par delà leur géographie, elles rassemblent par le rythme, la danse, un chant du coeur, irrigué d'une vraie mélancolie (le "deep feeling" ou "cante jondo"). Si le flamenco se définit comme une forme de "spanish blues", la liaison est toute trouvée entre ces musiques qui se consument avec passion. C'est un peu la recherche obsédante de l'ombre en pleine lumière. Pendant longtemps les musiciens espagnols se sont contenté d'imiter le modèle nord-américain, délaissant leur identité propre. A contre-courant, le saxophoniste, flûtiste madrilène Jorge Pardo et le pianiste andalou Chano Dom'nguez, ont modelé un langage jazz, sang pour sang ibérique, étiqueté par la suite jazz-flamenco. Ce nouvel archipel avait bien été abordé par John Coltrane (Olé), Miles Davis (Sketches of Spain), Chick Corea (My spanish heart) en leur temps. Mais Pardo et Chano ne se sont pas limités pas à combiner les genres, ils ont créé une esthétique personnelle, où rumba et solea jazzifiées, évoquent la mémoire de Duke Ellington, de Thelonius Monk au rythme de bulerias. Une version plus hispanique que latine, car moins percussive. Et surtout moins cuivrée, hélas. Dans ce "Volume II" d'une collection initiée en 1993, les musiciens espagnols reviennent en force avec un seul américain Michael Brecker, en guest star, dont la présence n'était pas indispensable, vu la qualité de l'équipe locale. Même le contrebassiste Renaud Garcia-Fons est d'origine espagnole. Il nous gratifie d'ailleurs avec son compère Nunez, d'un "Amor real", duende à la subtilité arabo-andalouse (cordes déployées de façon raffinée, aigus étonnamment déchirants, tirés de la basse sur une mélodie amplifiée). La jonction s'établit au sein même des titres car les musiciens font sans cesse le passage entre les cultures : "Mister senor", "Blues for Pablo", "Jerez Chicago", "Blue solea" en gardant quelques séquences flamenco, thématique oblige. Certains les espèrent les joyeuses sévillanes, les soléas plus lentes et sévères, les bulérias vivement rythmées. Les instruments de tous bords, nombreux, (cajun, palmas, guitares, saxes, flûtes, piano, percussions) fusionnent intelligemment en une cohérence plutôt étonnante : le résultat n'est pas un patchwork factice. Attachant, l'alliage surprend par sa tenue même : le mélange opère par l'habileté des arrangements, la recherche poussée des sonorités, l'électrisation réussie dans certaines compositions mixtes, comme ce "Latido loco" de Garcia-Fons. Certains effets d'anches sont superbes dans "Blues for Pablo", mais c'est un classique de Gil Evans tout de même ! L'album se termine finement par "Blue solea", un solo attendu de guitare de Gerardo Nunez. Pour rester dans la note. C'est l'heure espagnole. |
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