| | | par Hanson le 20/12/2006
| | |
| Découvrir les grandes figures emblématiques de son pays dans les livres publiés hors de ses frontières ou au travers du discours d'érudits étrangers est parfois source d'inattendu. C'est au cours d'une soirée au Pit Inn à Tokyo que j'ai pioché, de façon un peu aléatoire, un livre parmi tant d'autres au beau milieu de la bibliothèque du lieu. L'ouvrage fortuitement extrait était une publication sur les géants du jazz du XXème siècle. Mais ce qui justement distinguait ce livre de ses analogues occidentaux était que la vision japonaise du jazz y était développée, avec tout cet, ô combien respectable, encyclopédisme japonais. Ce livre, qui visiblement cherchait à aller à l'essentiel, dressait un bref panorama du jazz européen, où le haut du pavé était tenu par les artistes d'outre-rhin. Le patrimoine jazzistique français avait, quant à lui, était réduit au pianiste Georges Arvanitas comme seul et unique représentant. Or curieusement un tel choix ne serait peut-être pas celui qu'effectueraient les leaders d'opinion français. Ignorance pour certains ? Hérésie pour d'autres ? En fait, cette épuration ne reflétait certainement que la volonté des auteurs d'aller à l'essentiel, c'est-à-dire de présenter les meilleurs disciples de la doctrine américaine ; et c'est peut-être sous cet angle là qu'il faut rétrospectivement voir le talent de Georges Arvanitas.
Si à partir de sa formation en 1965, un grand nombre de musiciens américains de passage à Paris (Yusef Lateef, Roland Kirk, Ted Curson...) avaient jeté, de façon flatteuse, il est vrai, leur dévolu sur le trio de Georges Arvanitas, les trois musiciens ont néanmoins eu quelques difficultés à se détacher de cette image de sidemen. A deux reprises, le label Futura leur a finalement donné la chance d'enregistrer seuls, révélant ainsi au public une musique d'une finesse atteignant des sommets sur ce "Live again". Pourtant cette réussite n'est pas seulement le fruit d'un remarquable leader, mais vient également de sa cohésion avec Jacky Samson et Charles Saudrais. Plus que jamais, au cours de l'histoire du trio, la contrebasse de Jacky Samson prend la parole avec une pertinence musicale étourdissante. Qu'il introduise "Yesterday" par une excellente interprétation à l'archet, ou bien que son inspiration jette un pont extrêmement bien senti entre "Yesterday" et "Indian", le silence absolu entourant sa contrebasse justifie sa capacité à retenir le souffle de l'auditoire de ce 13 janvier 1973. Or malgré les 35 années qui nous séparent de ce soir-là, toute l'intimité et la magie de ce concert sont préservées grâce à la conservation de son intégralité dans cet album.
Dès premières notes d'Arvanitas émane cette atmosphère si caractéristique, dans l'imaginaire populaire, des caves de Saint-Germain. Avec son jeu relativement dense, il parvient à glisser toute une palette de couleurs musicales au sein de chaque morceau, étirant ainsi avec une aisance apparente les quelques standards qu'il interprète. Partant le plus souvent de très beaux thèmes, Georges Arvanitas parvient à nous emmener avec un naturel extraordinaire dans une infinité de digressions où le thème laisse finalement place à des improvisations qui ne sombrent à aucun moment dans la monotonie. C'est justement cet effilage de la trame musicale qui crée cette ambiance à la fois chaleureuse et enivrante, où l'auditeur s'en remet complètement aux musiciens, ne sachant trop où il sera emmené mais ayant néanmoins la certitude que le récit musical se fera sans effort et sans heurt. Le public, certainement averti auparavant des conditions d'enregistrement, fait preuve d'une grande discrétion éliminant ainsi l'un des inconvénients majeurs des enregistrements en concert. Cependant sa présence a un impact incontestable sur l'implication des joueurs et sur l'ambiance qui s'en dégage; comme le rappelle notre pianiste dans les notes du disque "je pense que lorsqu'un musicien de jazz raconte une histoire sur son instrument, il la dit beaucoup mieux devant un auditoire".
A deux reprises, Georges Arvanitas apporte également une touche très 70's en laissant, de côté son instrument habituel pour un piano électrique Hohner. Les excès de pédale wah-wah sur son piano rendent méconnaissable son style de jeu, le transportant ainsi dans des sonorités plutôt groovy, comme il était coutume d'en entendre dans la communauté afro-américaine de l'époque. Pourtant, il parvient aussi à s'illustrer différemment par son retrait volontaire vers l'arrière-plan en colorant les solos de Jacky Samson par des notes électriques évanescentes disséminées ça et là, apportant ainsi une profondeur semblable au jazz spirituel, dans une veine un peu semblable à celle de Strata East.
Parmi la multitude de perles que le label Futura a produit au cours de sa brève période d'activité, il semble bien difficile d'extraire du catalogue un disque éclipsant les autres tant en terme d'originalité qu'en terme de qualité. Malgré cela, ce "Live again" fait sans aucun doute partie des incontournables du label, mais également de la discographie d'Arvanitas. Il constitue l'un des rares exemples de disques aussi indélogeable d'une platine que le squat des artistes d'Electron Libre, rue de Rivoli. Après un long silence, Georges Arvanitas devait, de façon très attendue, remonter sur scène à la fin de l'année 2005, mais c'était sans compter sur ce 25 septembre 2005 où il a rejoint Charles Saudrais, qui avait lui-même passé l'arme à gauche douze ans plus tôt.
|
|
|