Je ne connaissais pas Francesca
Solleville, et c'est l'un des bonheurs que l'on peut
goûter à travers ces chroniques,
autant pour celui qui les rédige que pour leurs éventuels
lecteurs, que de pouvoir découvrir,
même tardivement, des univers musicaux nouveaux, des
territoires inconnus de la chanson ;
des paysages parfois anciens, qui pourraient paraître
ringards aux oreilles acculturées des
adeptes d'un Jul ou d'une Aya Nakamura, mais qui
traversent pourtant les époques et les
courants, avec la même grâce et la même élégance ; et
qui pourraient retrouver, à la faveur
des turpitudes de ce siècle et des luttes sociales intensives
que l'on s'efforce par tous les moyens
de masquer ou d'étouffer, l'écho d'un embrasement, au
carrefour de l'amour et de la
révolution, la lueur d'une flamme qui se croyait pourtant oubliée.
Dans la lignée de Jean Ferrat, de
Georges Brassens ou de Léo Ferré, de cette tradition
de poètes et de troubadours qui se
font, parfois malgré eux, passeurs de mémoire et de
flambeau, Francesca Solleville est une
grande dame de la chanson française, que la culture
officielle de ces quarante dernières
années n'a pas cru bon de canoniser, et qui porte cet
héritage et cette tradition avec plus
de force et de vie que la plupart des histrions
contemporains qui s'en prétendent les
légitimes héritiers. Et c'est peut-être pour cette raison
qu'elle traverse nos déserts sans se
faire remarquer, en continuant de chanter les poètes
qu'elle a toujours chantés, parce
qu'elle est restée authentique, fidèle à elle-même et la
mémoire de ceux qu'elle ressuscite à
chacun de ses récitals, sans jamais chercher à faire une
idole de son nom ou de son image.
Elle chante, ce que les autres ont
écrit ou chanté – car les poètes ont parfois besoin de corps et
de voix qui ne sont pas les leurs pour se faire entendre même par
delà le tombeau – et donne à la qualité d'interprète toutes ses
lettres de noblesses. Cette découverte permet de mieux dire,
peut-être, ce qu'est la chanson française : l'héritage d'une
tradition, d'une langue et d'un esprit, souvent à la croisée des
chemins, entre drames et comédies ; une histoire faite d'amour
et d'amitié, de luttes et de révoltes, qui a ses racines dans une
terre paysanne, ouvrière et populaire ; une mémoire
communarde insurrectionnelle dont les
poètes et les troubadours se font les passeurs et les
flambeaux, témoignage toujours vivant
d'une conscience sociale ou d'une gauloiserie
réfractaire, qu'ils transmettent comme
la flamme d'une espérance qui n'est pas née d'hier et
qui ne s'éteindra pas demain.
Voilà tout ce que l'on trouve, et même
un peu plus, dans ces "Récitals" de Francesca Solleville.