| | | par Jérôme Florio le 25/04/2003
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| Je ne me rappelle plus l'auteur qui a décrit les anges comme les plus terribles des créatures, car leur beauté et leur inaccessible perfection sont un reproche aveuglant à notre banalité d'êtres humains. Il en est un peu ainsi avec ce disque d'Eva Cassidy. Cette compilation date de 1998, et a connu un grand succès en Angleterre (un million d'exemplaires vendus). Un succès posthume car la blonde Eva a été emportée à 33 ans, en 1996, par un cancer malheureusement diagnostiqué trop tard. Un seul de ses disques,
"Live at Blues Alley", est sorti de son vivant ; depuis, le nombre croissant des gens qui la découvrent motive l'exhumation régulière d'enregistrements studio. Née à Bowie, Maryland, Eva Cassidy est restée jusqu'au bout maladivement timide. Découverte et épaulée par le producteur Chris Biondo, ce n'est qu'après de multiples apparitions aux churs sur les disques des autres, ou des collaborations (avec Chuck Brown sur le disque de reprises de standards jazz et rhythm & blues "The other side") qu'elle trouvera le courage de se produire dans les clubs de Washington DC. Interprète aux goûts éclectiques, trop difficile à marketer pour les
frileuses maisons de disques que la difficulté de coller des étiquettes effraie, Cassidy n'a jamais réussi à trouver un contrat discographique régulier. Qu'elle chante de la country, de la pop, du gospel ("Oh, I had a golden thread"), tout passe au filtre de sa voix claire et cristalline pour en ressortir invariablement poli, purifié. Mais Eva Cassidy fait plus qu'interpréter : elle réinvente, grâce à une recherche constante sur le phrasé. Comme Jeff Buckley quand il vampirisait les chansons des autres. On a coutume de dire en entendant une voix sublime qu'elle "décourage toute critique", mais essayons tout de même. Accompagnée de sa seule guitare, son chant douloureusement beau transfigure "Autumn leaves" ("Les feuilles mortes" de Prévert et Kosma) en une prière recueillie, change le plomb de "Fields of gold" de Sting en or. Pourtant, elle a beau utiliser toute sa technique vocale sur "People get ready" de Curtis Mayfield, la chanson est vidée de toute son attraction charnelle, sensuelle. Le chant de Eva Cassidy évoque un idéal de pureté, que l'on ne rencontrerait par exemple que dans l'enfance, ou à l'église. Une musique "blanche" et chaste, comme si Mayfield était blanc et qu'Elvis n'avait jamais existé. En écoutant les agréables "Wade in the water" ou "Wayfaring stranger", on pense même furtivement à Vaya Con Dios. Sa voix flotte irrémédiablement au-dessus de l'accompagnement, sobre mais sans génie. Il est pourtant faux de parler d'aseptisation, ou d'affirmer que la musique d'Eva Cassidy est totalement asexuée : ce qui se dégage plus sincèrement est le simple plaisir de chanter, de s'étonner de ce son si pur qui sort de sa gorge, de sa bouche. Auto-fascination. Ou même auto-érotisme. |
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