| | | par Sophie Chambon le 10/10/2007
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| De ses deux derniers opus "Abyss" et "Jails of Innocence", nous avions retenu le son et l'énergie passionnée d'un artiste étonnant et engagé, dont on ne parle guère, même dans les "chapelles" les plus extrémistes. Et pourtant voilà un musicien qui a traversé de façon exemplaire toutes les modalités du jazz, du début des années quatre vingt à nos jours, sans exclusive aucune, et sans jamais d'autre recherche que celle exigeante qui découle du désir de musique. On en revient toujours là.
Le saxophoniste Eric Plandé impose sa vision grave et épurée d'une musique à vif. Il continue visiblement à réaliser avec rigueur et précision, des albums aussi tranchants qu'euphorisants. A peine plus apaisé mais toujours très déterminé, ce nouvel album indique une direction potentielle plus "écrite", littérale, qui puise sa source dans les pages âpres et efficaces d'écrivains comme Erich-Maria Remarque, Guy de Maupassant ("le Horla") ou de Stephan Zweig ("Amok"). "Between the lines" est le titre bien choisi de ce cri d'amour d'Eric Plandé pour ces mots brûlants d'auteurs qui ont souvent payé de leur personne leur engagement dans l'écriture. Des mélodies fortes, sensibles, et terriblement prenantes, intemporelles comme la souffrance dont elles témoignent, puisque ce sont les textes de ces écrivains "maudits" qui sont le conducteur de cet album étrange que l'on écoute recueilli, en songeant à la lecture.
On retrouve la même intransigeance pour faire entendre un jazz vif sans frontières et repères, libre en un mot, avec des musiciens dans le feu de l'improvisation, toujours au rendez vous quand il s'agit de jouer avec lyrisme, tout en assurant la rigueur de l'échange. Le saxophoniste au seul ténor est entouré d'une rythmique efficace, d'autant plus complice qu'il retrouve le frémissant Jacques Mahieux à la batterie, que rejoint le brillant François Verly aux percussions. Une rythmique splendide donc, qui se moque des genres et des contraintes de style et laisse chanter la pulsation, ternaire ou binaire dans les compositions personnelles du saxophoniste. Pas de contrebasse mais le formidable Joachim Kühn qui, au piano et sur deux plages à l'alto, donne la mesure une fois encore de tout son talent. La sonorité toujours aventureuse du saxophoniste ténor est rejointe par le piano tourmenté et rebelle de Kuhn. C'est en effet le partenaire rêvé pour une entreprise de ce type, une aventure du corps et de l'âme. Il se laisse traverser par la musique violemment et ardemment aussi, son phrasé plus harmonique que mélodique, se combine aux emportements tout de même très mélodiques du saxophoniste.
Cette musique encore austère résonnera immédiatement aux oreilles de ceux qui partagent le même territoire dans lequel on peut s'immerger, en confiance, si ce n'est en toute sérénité. Une musique vivante qui s'écoute de l'intérieur, sans concession aucune à la mode, exprime une colère non rentrée, l'audace étant une constante, avec une exacerbation lyrique coltranienne. |
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