Unza unza time

Emir Kusturica & the No Smoking Orchestra

par Sophie Chambon le 03/03/2002

Note: 9.0    

Emir Kusturica et le No Smoking Orchestra sont bien plus qu'un énième groupe de rock and roll : ils ont contribué à changer la scène musicale de Sarajevo et de l'ancienne Yougoslavie dès la fin des années quatre-vingt. L'orchestre, au départ punk et anarchiste, jouait une musique révolutionnaire qui s'enracinait dans la tradition des Balkans, ultime pont entre l'Orient et l'Occident. Tous les genres, rythmes, mélodies et harmonies s'y interpénètrent brillamment : cuivres et trompettes de la Serbie du sud, thèmes mélancoliques de l'Asie, marches turques, accents plus germaniques. Les différents solistes utilisent leur expérience des mariages, cérémonies, et autres fêtes des différentes communautés. L'auteur de l'émouvant "Temps des Gitans" n'oublie pas non plus d'intégrer czardas et violons tziganes dans son maelström. Le chanteur leader du groupe, Dr Nelle Karajic, appelle cette musique "Unza unza", le bouquet des différentes fleurs des Balkans, sur un rythme en 2/4, déjà expérimenté sur nos oreilles d'occidentaux dans le dernier film "Chat noir, chat blanc" du guitariste, bassiste et compositeur Kusturica. Il est en effet l'homme-orchestre de cette joyeuse sarabande, la figure charismatique de ce world-band atypique, qui nous entraîne dans un monde chamarré, sens dessus dessous, sans aucun manichéisme, où l'instinct de vie finit par l'emporter, en dépit des horreurs et atrocités de la guerre. On retrouve bien l'atmosphère déjantée et baroque, non dénuée d'un humour grinçant des films du réalisateur serbe. Danses endiablées, violons et balalaïkas, cuivres éclatants comme à la parade, meneur de revue et de cabaret, cirque fellinien et fanfare, tout se mélange dans un tourbillon effréné, folie joyeuse et grotesque, apparente cacophonie, spectacle underground. Le rock and roll s'installe dans l'attitude, l'énergie et l'urgence sur scène : clins d'œil surréalistes, très courtes citations (de Django à Strauss), parodies de westerns Sergio Leone, voix rauques et élucubrations proches parfois des délires de Captain Beefheart. "Video killed the rock and roll" entend-on ou "Was Romeo really a jerk ?". Et c'est avec jouissance que l'on s'embarque dans cette nef des fous.