Avant "Queen of the meadow", Elysian Fields a été très près de prendre l'eau : auteur d'un disque remarqué ("Bleed your cedar", 1996), le groupe s'est séparé du label Radioactive Records qui les pressait de remixer leur deuxième album produit par Steve Albini, jugé pas assez commercial – plus rêche, plus rock, il dort toujours dans un tiroir... Jennifer Charles et Oren Bloedow sont alors partis chez Jetset Records, pour lequel ils ont enregistré "Queen of the meadow" en quinze jours.
L'emballage un peu plus "cheap" et le son moins charnu que sur "Bleed your cedar" témoignent de moindres moyens, mais l'inspiration est intacte. Dame du Lac ou corps noyé ? Fièvre ou excitation ? Le visuel, au graphisme légèrement repris pour cette présente ressortie, est au diapason d'une musique placée sous un signe lunaire : un genre de série B avec scénario pervers (la nécrophile "Rope of weeds"), ambiance chocottes à la Mario Bava ("Fright night") et danses dans le cimetière (la poppy "Hearts are open graves"). C'est d'ailleurs un texte du maître de la littérature gothique Edgar Allan Poe que le groupe met en musique sur un "Dream within a dream" embelli par des arrangements de cordes. "Black acres" pose d'emblée le décor sensuel, tragique et somnambulique dans lequel le groupe excelle. L'introduction au violon charrie avec elle les fantômes de l'Europe centrale, la musique klezmer... On descend encore d'un cran sous la surface du sommeil paradoxal avec "Bayonne" (New Jersey, USA !) qui bouge au ralenti comme Jean Marais / Orphée descendant aux Enfers dans le film de Jean Cocteau ("Orphée", 1949). Par moments Charles et Bloedow risquent de verser dans une imagerie féérique trop explicite - après les sirènes et la Dame du Lac ("Mermaid" et "Lady in the lake" sur "Bleed your cedar"), voici la reine des prés (le titre en duo "Queen of the meadow"). Elysian Fields sait aussi placer des titres plus directs et carrément licencieux ("Bend your mind", qu'ils referont en moins bien avec "Timing is everything" sur "Dreams that breathe your name", 2003). C'est au plus proche des sentiments, d'histoires d'amour plus meurtries que mortifères, que le disque prend une vraie grandeur : "Barely recognize you" et particulièrement "Cities will fall", la dernière chanson sur laquelle plane une ambiance de fin de quelque chose - un titre un rien prophétique de la part de ces New-Yorkais, quelques mois seulement avant les attentats du 11 septembre.
Les eaux sombres de la pochette nous ramènent aussi à la rivière qui a été funeste à Jeff Buckley, à qui cet album est dédié. Comme le suggèrent les plantes carnivores de la pochette, tentatrices - presque vulgaires - et mortelles, "Queen of the meadow" est le disque le plus vénéneux du groupe.