Morceaux qui Tuent Chance Church of the Holy Family Villain on the run Last night on earth Chandeliers
Après le très beau "The afterlife" (2009), voici "Last night on earth" : l'envie de s'échapper semble de plus en plus pressante pour le duo new-yorkais. A-t-on toujours envie de les suivre ?
Toute la musique d'Oren Bloedow et Jennifer Charles est une affaire d'abandon, de ralentissement, jusqu'à brouiller les frontières entre Eros et Thanatos. La sensualité n'est jamais gratuite, et s'accompagne d'une menace diffuse : "Sleepover", avec sa coda de guitare obsessive et sa basse ronde est une histoire d'innocence, d'adolescence en danger. Dans la même thématique mais cette fois côté conte – un marqueur des obsessions de Jennifer - "Red riding hood" retrouve une veine rock aux angles sales abandonnée depuis le disque enregistré avec Steve Albini et malheureusement jamais publié. La guitare est tapie en embuscade (Oren, immense musicien, se régale aussi à contrefaire la voix du loup), prête à rugir, et un harmonica blues appelle au sabbat. "Can't tell my friends" ne commence pas très bien, l'énergie bloquée et affadie par l'électronique, mais se rattrape au refrain avec une rythmique qui a davantage de poids. Cette chanson appartient néanmoins à la veine rock basique qui n'est pas leur point fort, et qui pourtant se fraye un chemin sur tous leurs disques comme un passage obligé. De même, le choix d'arrangement de cordes orientalisantes sur "Sweet condenser" ne convainc pas. Passé cet enchaînement un peu en-dedans (le seul du disque), l'abattage de "Chance" est imparable, avec sa batterie pataude à la Ringo Starr et de séduisantes guitares glam rock - rappelons que le duo s'est cimenté autour d'une passion commune pour Marc Bolan.
A part ça, vous en connaissez beaucoup des chansons en anglais avec le mot "chandeliers" dedans ? "Chandeliers" en est une tout à fait charmante, délicatement surannée comme la personnalité de Jennifer Charles. C'est cette facette romantique "fin de siècle" qui ressort sur "Johnny", complainte déchirée dont les mandolines ont quelque chose de slave, donc de tragique... Le texte fait fortement penser à "Fais-moi mal, Johnny " de Boris Vian interprété par Magali Noël (1956) - "Moi j'aime l'amour qui fait boum !". "Church of the Holy Family" et "Old old wood" sont deux parfaites démonstrations de rock très soft. La vénéneuse "Church of the Holy Family" allie avec talent un piano qui mène la danse et des guitares glam (encore). Les arrangements de cuivre méritent aussi l'attention, ainsi qu'un court décrochage instrumental au piano ; Oren Bloedow devient un véritable orfèvre des ponts tout en finesse ("Old old wood"). Globalement, "Last night on earth" sonne comme leur disque leur plus souple à ce jour, le plus "smooth" et détendu. "Last night on earth", la chanson-titre, placée en fin de disque, ne trompe pas sur la marchandise : c'est un space opera dans lequel Jennifer est enlevée par des extraterrestres, un décollage suave et beau comme une danse lente. "Space oddity" de David Bowie (1969) et "Subterranean homesick alien" de Radiohead (1997), sont ses compagnons d'équipage.
"I'm feeling lucky / Are you feeling lucky ?" demande le groupe dans la fin emballante de "Villain on the run" : à cette question comme à celle en accroche, on répond oui, trois fois oui.
ELYSIAN FIELDS Church of the Holy Family (Live TV France 18/05/2011)