"On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" : la dernière fois qu’on a écouté un disque d’Alela Diane, c’était "To be still" (2009) et déjà on sentait cette force intérieure, tranquille, qui s’inscrivait dans une sorte de permanence des choses. Plus d’une dizaine d’années en aval, le fleuve n’est pas sorti de son lit, il a continué à couler sans nous : "Looking glass" est de fort belle facture, réalisé par Tucker Martine dont la production ronde et soignée met en valeur la voix chaude d’Alela et la traite comme une grande dame folk.
"Paloma" nous plaît beaucoup avec ce feeling soft rock, Fleetwood Mac seventies, assez inattendu. On repart ensuite dans un classicisme folk parfaitement taillé sur mesure ("Howling wind", "When we believed", "Strawberry moon", "Of love"), avec l’impression diffuse d'une fine césure entre Alela Diane et les beaux arrangements de cordes qui l’entourent - comme une superposition, comme s’ils glissaient l’un sur l’autre. Tout cela est sans doute seulement dans la tête de l’auditeur, qui s'accorde à trouver les chansons très belles, mais sans résonance avec le monde tel qu’il le vit au quotidien. Cependant le voile se déchire tout aussi mystérieusement sur la deuxième moitié du disque, à partir de "Dream a river", en accostant là où les disques de Cat Power ne se rendent plus depuis longtemps ("Camellia", "Another dream").
Alela Diane travaille dans l’intemporel : les sentiments, les souvenirs, les rêves, le lien avec la nature… Il en faut des disques-refuges, alors pourquoi reste-t-on sur le seuil de "Looking glass", envieux de ceux qui sont à l’intérieur, à l’abri ?