| | | par Jérôme Florio le 29/02/2004
| | |
| Gare à votre réaction à l'écoute de "Oh me oh my", le premier disque de Devendra Banhart. Si vous êtes vendeur de matos hi-fi, vous risquez de vite vous excuser auprès de la clientèle pour aller vous pendre au fond du magasin. Dans les autres cas, vous allez être intrigués, et peut-être aimer.
Il faut passer outre le son de cassette voilée, enregistrée sur un 4-pistes problématique. Ce n'est pas pour autant une bizarre coquetterie : Michael Gira, le boss de Young God Records, a fait le pari de sortir tels quels ces enregistrements pas très présentables en société.
Ne parlons pas de technique, "anti-folk" ou "lo-fi" : ce sont des poses bourgeoises à côté de ce folk tartare. Des arpèges répétés de manière obsessive, joués on ne sait où des bruits non identifiés, voitures qui passent, lourdes portes qui claquent en résonnant dans des couloirs vides ("Cosmos demos") comme dans l'éprouvant "Frankie teardrop" de Suicide. Un Suicide à la guitare sèche.
Il faudrait présenter Devendra Banhart à King Creosote : là où ce dernier travaille au grand air, Banhart moisit à la cave, avec des araignées au plafond, et ne sort qu'à la nuit tombée pour se promener dans la forêt ("Soon is good"). Du folk fantôme, mais Banhart hante ses trois maigres notes avec plus de présence que bien des gratteux de chair et de sang.
Les chansons s'aventurent rarement au-delà du seuil des trois minutes : vite prises d'une peur panique, elles repartent se tasser dans un coin sombre au fond de la pièce. Sauvageonnes, entre chien et loup, elles vous jettent alors un regard apeuré. Entre deux crises d'angoisse, Devendra Banhart fait le yo-yo entre des vilains petits croquis qui se tordent sous vos yeux ("Nice people"), et des touchantes histoires d'amour tordues ("Little monkey") pour les "Freaks" de Todd Browning.
Bien que tout fragiles, boîteux, les 22 (!) titres tiennent debout et c'est quasiment miraculeux : au détour des chansons bouffées par les mites ("The Charles C. Leary", "Make it easier on me" où Banhart fait son "My wild love" des Doors à lui tout seul), des pépites ("A gentle soul", "Pumpkin seeds"). Mieux fagotées, on pourrait presque les passer en soirée sans qu'elles fassent fuir les amis.
Des morceaux crachés, jetés en un geste poétique et convulsif, comme de l'action-painting. Devendra Banhart est diplômé des Beaux-Arts de San Francisco : sa folie n'est peut-être qu'un maquillage, mais on se gardera bien d'être affirmatif. Il cite Tiny Tim (un doux-dingue des années soixante) comme influence majeure, et a été comparé au Marc Bolan pré-glam de Tyrannosaurus Rex - sans le bestaire fantasmagorique -, ou à l'authentique et gentil fou folk Daniel Johnston : une voix étrangement dédoublée qui dérape ("Michigan state"), des churs pop vus dans un miroir déformant. Ca sort comme ça, et c'est assez jouissif quand Banhart hurle à la lune comme un loup-garou ("The red lagoon"), tout en susurrant des comptines qui font peur ("Happy happy oh", "Marigold").
L'humour n'est pas absent, avec des titres absurdo-affreux - "Legless love", "The thumbs touch too much", la régression totale de "Lend me your teeth" -, le tout emballé avec l'enthousiasme innocent du gamin saccageur, qui s'applique à arracher les pattes de tous les insectes qui passent à sa portée. On pourrait traduire "Oh my oh my" par un "Oh là là, qu'est-ce que j'ai fait !" mi-catastrophé, mi-amusé. |
|
|