Morceaux qui Tuent World of pain Strange brew Sunshine of your love Dance the night away Blue condition (voc Clapton)
L'Angleterre de 1967 ou Ali Baba se défonce sur sa Gibson ! Lecteurs des premiers numéros de Rock'n' Folk, la seule issue offerte devant la livraison mensuelle de visages nouveaux, de pochettes extravagantes, d'inventions soniques ou visuelles insensées : baver ! Et au-dessus de ce flot inépuisable de groupes créateurs, innovateurs, mélangeurs, tritureurs de sons et de styles, trônent deux trios : l'Experience de Jimi Hendrix et les Cream. Évidemment ils éblouissent par leurs fringues - les plus écarlates du moment - mais surtout ils impressionnent, tellement ils emmenent loin et expédient haut ! Les deux partagent le même secret de puissance, un triangle de musiciens à la science hors pair, rompus à la rythmique, capables de tout jouer et de faire muter le tout. A posteriori, les deux groupes auront eu la même très courte carrière, débutée à l'identique en cette même année 67 avec la parution l'un derrière l'autre de leurs deux premiers albums.
"Disreali gears", deuxième album des Cream, définitivement leur meilleur, capitalise tous les espoirs du premier en prenant avec une aisance magistrale le virage psychédélique de l'époque. Clin d'œil au passé ou hommage : l'album s'ouvre avec "Strange brew", petit bijou à la Booker T. Jones, dans lequel Eric Clapton sonne comme Steve Cropper ! Album d'expérimentation et de contrastes tout en gardant des structures simples et limpides, il mêle blues noir, blues anglais, jazz et rock psychédélique, et chaque membre y brille à son tour : le chant pénétré et parfois en lévitation de Jack Bruce, la puissance sourde de sa basse, la précision diabolique des baguettes de Ginger Baker créent un bouillonnement constant, un cratère de volcan en éveil, d'où jaillissent les riffs de guitare d'Eric Clapton. Et quels riffs ! Souvent quasi magiques ("Sunshine of your love", "Outside woman blues"). Capable aussi de mélodies imparables ("World of pain") et de vocaux aériens ("Dance the night away"), Cream était un groupe de virtuoses, conscients de leur valeur et aptes à emprunter n'importe quel chemin sonore.
Le vinyle original ne comportait aucune note de pochette, la réédition Deluxe offre un beau livret et stupéfaction : "Disreali gears" a été enregistré en 6 jours !! Cela laisse pantois sur le talent du trio et les capacités en sorcellerie du producteur Felix Pappalardi... Le package Deluxe offre deux Cd jumeaux, le premier avec la version stéréo de l'album original, le second la mono. Chaque disque inclue des bonus : les chutes - stéréo et mono - de "Lawdy Mama" (qui deviendra "Strange brew"), les roughs de "We're going wrong" and "Swlabr" (Cream en studio, polissant le son, cherchant le fameux groove), "Hey now princess" (illuminé par un duel Clapton-Baker, pendant que Bruce crache ses mots), le très brit-pop "Weird of Hermiston", "The clearout" (ou comment muter une fanfare en groupe de rock) et une perle, une prise alternative de "Blue condition" chantée par Clapton (un cran nettement au-dessus que les vocaux de Ginger Baker). Face à ces démos, le disque 2 offre neuf titres enregistrés à la BBC, mais sans grande surprise, puisqu'ils figurent déjà tous sur l'album "Cream BBC sessions" paru en 2003.
Cream allait encore sortir deux albums et se saborder à la fermeture des 60's, mais "Disraeli gears" reste le témoignage le plus significatif de sa créativité. Plus de trente-cinq ans plus tard, sa réédition Deluxe paie un tribut justifié à un groupe excellent, qui avait alors le culot de ne rien se refuser sans jamais quitter le sommet.