| | | par Sophie Chambon le 28/11/2006
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| Formidable aventure que celle commencée il y a plus de douze ans par Claude Tchamitchian, le co-fondateur du label marseillais Emouvance, avec son Grand Lousadzak, qui porta aussi la "Basma suite", avant la création en 2006 de ce "Human songs". Regroupés autour du compositeur-contrebassiste, les hommes se serrent dans un élan collectif dans des débordements free jamais dénués de mélodie. Parmi les qualités de la musique de Claude Tchamitchian, la musicalité vive, le sens foisonnant du rythme, une chaleur empreinte de nostalgie et de mélancolie très orientales. A l'aise dans les complexités métriques, l'art des dynamiques n'éclipse pas pour autant la richesse des timbres et des couleurs. Beauté des unissons, surprises dans les changements abrupts de rythme, dans les attaques franches.
C'est de l'intimité de la formation que l'album tire sa force : la musique surgit avec une intensité et une précision que seule une fréquentation de longue date autorise. Et pourtant il s'agit d'un nouveau groupe, d'un octette inédit : le noyau dur composé de Raymond Boni, Daunik Lazro, Claude Tchamitchian (réécouter "Next to you" avec l'autre "frère de son", Joe Mc Phee) est complété des musiciens de la "famille" Emouvance Lionel Garcin, Rémi Charmasson, des familiers comme Daniel Malavergne (formidable au tuba), ou le détonant Ramon Lopez. Dernier arrivé, le feu follet de la scène jazz actuelle, l'incontournable Collignon, cette fois moins pitre-bruitiste que scateur. Ses délires habituels paraissent presque sages sous la direction du contrebassiste qui sait lui faire jouer le rôle de catalyseur. Et puis, chacun dans ce groupe peut rivaliser d'audace avec le trompettiste. Tcham a du charisme, le sens de l'équipe et du partage. Il sait mener sa troupe en vrai chef de bande. Cette belle énergie suscite une envie communicative de chanter avec eux sur le magnifique unisson cuivré de "Place Tien An Men", à moins que l'on ne suive les vocalises de Médo sur cette "Fanfare" aux accents balkaniques. Assurément des thèmes porteurs, des leit-motifs qui circulent dans l'album, puis tournent dans nos têtes.
"Human songs" est composé de deux longues suites en continu qui, par certains de leurs titres, font référence à un passé de résistance et d'insoumission. Le sens de l'histoire, la tragédie des peuples opprimés voire décimés, ne peuvent laisser le compositeur indifférent. Voilà pour le politique, jamais absent des préoccupations du contrebassiste qui a choisi de s'exprimer dans cet idiome des musiques improvisées et du jazz, lui qui fait retour sur l'humanité et ses racines. Pour le contrebassiste, le free jazz a un pouvoir d'autant plus intense et prégnant qu'il n'a pas vécu cette époque en tant qu'acteur de la scène jazz. Mais il en a gardé et surtout intégré l'esprit rebelle dans un équilibre foisonnant des masses orchestrales, un savant dosage des textures, l'amour des sons inouïs, abrupts, insolites, le frisson des unissons, les grains cristallisés de matière sonore. La musique crée son effet, hypnotique en concert encore plus qu'en disque, le temps ne s'arrête pas mais il n'a plus tout à fait la même valeur. On se souvient alors du plaisir, de l'émotion, de la découverte de ce groupe l'été 2006, par une nuit très chaude lors du festival de La Seyne sur Mer, l'un des plus innovants et des moins médiatisés. Claude Tchamitchian et Françoise Bastiannelli, la directrice d'Emouvance, repartaient sur Paris dès la fin du concert, pour enregistrer une émission sur les labels indépendants, décidée par Frank Medioni. Ce dernier a joliment écrit que "Claude Tchamitchian a choisi plutôt que de faire carrière, de faire une uvre". Voilà en "Human songs" une nouvelle pierre ajoutée à l'édifice.
NB : Pour inciter à aller entendre les musiciens en tournée, le Cd inclut un bonus vidéo filmé à Banlieues Bleues lors du concert inaugural en mars 2006. Preuve tangible de l'envergure et de la vitalité de cette formation, offrant un spectacle "vif", à partir d'un discours en constante recherche.
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