Namaste

Christophe Wallemme

par Sophie Chambon le 28/11/2006

Note: 9.0    

Le label jazz d'Abeille Musique sait butiner intelligemment, faisant son marché au gré des envies gourmandes de son producteur. Il a fait confiance cette fois au contrebassiste Christophe Wallemme que l'on avait appris à connaître dans Prysm, ce trio chic et choc de la fin des années 90, plutôt "glamour". Aussi la surprise est grande de le retrouver leader d'un groupe inédit, au service d'un projet "exotique" pour nous autres, continentaux du cœur de l'Europe. Sa musique fait voyager sous d'autres latitudes, loin des hordes et des clichés touristiques et éclaire notre urbain quotidien d'un "soleil d'hiver" des plus réconfortants.

C'est que Christophe Wallemme a passé une partie de son enfance en Inde et à l'île Maurice et avec cet album intitulé "Namaste", il a cherché à partager sa vision intime de ces terres lointaines des origines ou du souvenir… "Namaste" signifie "bienvenue" en hindi et népalais, dans une expression à la fois accueillante et respectueuse de l'autre. Et l'on est saisi dès le premier thème "Holi" par cette musique métissée finement, cette poursuite authentique de racines que l'on recherche parfois toute une vie. Le personnel dont s'est entouré le contrebassiste forme une belle équipe, vraiment cosmopolite, de musiciens confirmés qui ont su échanger, faire circuler formes et sens. Il en résulte une impression justifiée de mouvement perpétuel, un groove lumineux, vivant, sensible. Wallemme l'initiateur du projet, s'il ne se met jamais en avant, a montré avec ses dix compositions qu'il a l'étoffe d'un leader.

Il a su s'entourer de très talentueux soufflants, Stéphane Guillaume (qui se détache à la flûte), Matthieu Donarier et Thomas de Pourquery superbement dirigés ("Namaste") ; notre Manu Codjia et le Brésilien Nelson Véras, deux guitaristes et non des moindres, ouvrent l'espace, tout en brossant des fonds délicats, jouant sur la dualité électrique-acoustique. Quand à la rythmique, elle est déterminante évidemment avec un trio de percussionnistes (les frères Edouard aux tablas et l'Argentin Minino Garay) et le batteur d'Aka Moon, Stéphane Galland, Belge connaisseur des musiques indiennes. Les titres un peu mystérieux, plus étrangers qu'étranges, confirment ce dépaysement délicieux, dès que l'on glisse le Cd dans sa platine avec "Holi", ou "Sweet aum" avec ses friselis des guitares, le son flûté des vents, le cliquetis discret mais permanent des percussions. "Tandoori groove" nous entraîne très loin, sur un tapis magique de rythmes et de couleurs vers un Orient imaginé, qui n'a rien du kitsch de Bollywood.

C'est une bal(l)ade sur un autre continent, la découverte d'autres univers au gré de couleurs rutilantes (à l'image du graphisme très évocateur de la pochette), de textures riches et souples. Même "La javanaise", pas vraiment indispensable, constitue un final amusant, clin d'œil qui souligne encore la cohérence géographique. Plongé dans le bain de couleurs, dans le grain du son, au cœur de cette vision toute personnelle qui convient très bien à un voyageur immobile, c'est à un rêve éveillé qu'invite ce disque et l'on s'abandonne à cet accompagnement qui n'a rien de trop directif. Chacun suit le fil naturel de son tempérament, comme Manu Codjia, dans "Réflection", l'un des titres préférés, qui laisse éclater les accents rauques et passionnés d'une guitare électrisante. Et ce bonheur arrive naturellement sans dispersion, quand il constitue une "fusion" de ce que l'on aime. Décidément Beejazz se permet des (ré)créations bienvenues, suivez désormais notre conseil en marchant sur les pas de ce label qui nous promène sans nous perdre.