Gratitude

Chris Potter

par Nicolas Bremaud le 30/05/2001

Note: 7.0    

De 15 à 30 ans, suivre aveuglément toutes les instructions du Maître. De 30 à 40 ans, il convient de réfléchir et d'arriver soi-même aux bonnes décisions. De 40 à 50 ans, il faut prendre le contre-pied du Maître, afin de trouver son propre style et d'être digne d'être appelé Maître à son tour. Yasushi Inoue, "Le Maître de thé". Chacune des compositions que Chris Potter livre ici est un hommage à un grand maître de l'histoire du saxophone. "The source" est dédié à Coltrane et se réfère à son "Mr. day", "Eurydice" aurait pu être composé par son dédicataire, Wayne Shorter et ainsi de suite. "Gratitude" ? S'agit-il de la reconnaissance du faussaire envers ses modèles ? Dans ce cas, plus de discrétion eût été souhaitable. Ou bien Chris Potter doit-il à ses aînés son style si original et passionnant ? Outre qu'une telle affirmation serait présomptueuse, ce ne serait pas cohérent puisque la singularité des grands créateurs s'est souvent affirmée à l'issue d'une lutte contre l'influence écrasante des Maîtres. De toutes façon, peu importe, ce titre stupide et ambigu malgré son apparente humilité, aura certainement été soufflé par un producteur affûté. Ce premier album de Chris Potter pour une major décevra forcément ceux qui ont eu l'occasion de le voir en club et de vérifier qu'il est bien l'un des plus fantastiques saxophonistes apparus ces dernières années. Ses compositions, habiles et parfois très jolies mais un peu convenues, la conception classique du quartet, semblent ne pas lui permettre de laisser libre cours à la prodigieuse imagination qu'il déploie lorsqu'il joue aux côtés de Paul Motian. Le batteur Brian Blade, le contrebassiste Scott Coley et le pianiste Kevin Hays sont aussi excellents que leur leader mais on a l'impression que tout ce beau monde joue 'pépère' (comparé à ce dont on les sait capables !) et sans grande conviction. En somme, cet album marque une régression dans la discographie de ce musicien qui a tenu déjà beaucoup de promesses et que l'on croyait précocement mais définitivement engagé dans la voie de la réflexion.