Monstre sacré de la chanson française et internationale, Charles Aznavour l'est. C'est une chose admise, claire et nette. On n'attend en général pas trois jours avant de l'appeler "Môssieur" et il est communément bien vu de tomber en pâmoison à l'écoute des premières notes de “La mamma” en s'extasiant sur l'ensemble de sa discographie, que le commun des mortels ne connaît, au mieux, qu'au niveau de la fraction microscopique.
En cherchant bien, on finit par dénicher la pierre angulaire, la galette qui met tout le monde d'accord sur la réelle envergure du bonhomme d'1m60. Cet obscur “Live à l'Olympia” de 1968, jamais réédité en Cd (vinyle d'occasion à traquer) constitue la pièce à conviction parfaite. Le comédien/chanteur et fringuant quadragénaire est alors à son sommet vocal et scénique. La ligne musicale adoptée par le duo Aznavour/Garvarentz (son compositeur et beau-frère) est - dès la fin des années 50 - très marquée par les variétés anglo-saxonnes. Du rythm'n'blues des années yéyé, au swing-jazz orchestral, la chanson française puise alors toute sa force de ces métissages introduits des décennies plus tôt par Charles Trenet.
Tous ces éléments, dans ce disque quasi-parfait, sont repris et amalgamés en un tout puissamment cohérent et on se rend compte alors d'une chose : Aznavour avait LES chansons, ayant malgré tout une forte propension au sujet amoureux. Tous les classiques y passent : "Emmenez-moi" alors tube de l'époque et le hit transgénérationnel que l'on sait, "Caroline" chanson du film remake "Caroline chérie" sorti la même année, ou le magistral "Paris au mois d'août". Les sentiments les plus forts sont de la partie, de la jalousie rentrée, "Et moi dans mon coin" à la déclaration d'amour débridée, "Ma mie", en passant par le déchirement passionnel, "De t'avoir aimée" ou "Comme une maladie". Tous ces sentiments sont exprimés à travers un prisme fait d'une écriture pointue, d'une force et surtout, d'une conviction quasi-catharsique dans l'interprétation.
La direction d'orchestre signée Christian Gaubert, compositeur de musique de film et immense arrangeur, est virevoltante et peut s'avérer particulièrement complexe. Les cordes se font à la fois souples et expressives, les cuivres vrombissent. La célèbre formule guitare/basse/batterie donne une dynamique supplémentaire à l'ensemble qui atteint parfois des sommets de force sonique : "J'aimerai".
Fidèle parmi les fidèles, Henry Byrs, le pianiste accompagnateur, s'avère être le complément idéal sur des chansons plus feutrées. "Hier encore"/"Sa jeunesse" abordant toutes deux la thématique des regrets éternels. Véritable trésor de ce "Face au public" : "Tout s'en va", bilan amoureux en forme de nostalgie à tiroirs, offrant un texte d'une saisissante inventivité, d'une clarté et d'un sens du verbe à ce point inégalé, que cela en devient injuste.
"Le plus grand artiste vu sur scène ? J'adore Charles Aznavour. Je l'ai
vu au Carnegie Hall dans les années 1960 et il m'a complètement
abasourdi. La personne qui m'accompagnait était française, et je ne
savais vraiment pas dans quoi je m'embarquais."