| | | par Sophie Chambon le 07/07/2005
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| A tout point de vue le Baroque Jazz Trio surprend : une expérience unique, singulière, authentique qui s'inspire de l'idée de "concept album" dans la cohérence entre les recherches sur le son, les musiques convoquées, l'instrumentation - qui inclut un clavecin -, et la philosophie de ces formidables "seventies" qui débutaient alors.
Cet enregistrement de 1970 est issu de la maison Saravah, temple de la bonne chanson mais aussi curieuse de jazz créatif (deux ans plus tard, elle produira le chef doeuvre Moshi de Barney Wilen). Il est édité pour la première fois en Cd par L'arôme Production, minuscule structure grenobloise hélas proche de l'épuisement, à force de croire en la seule qualité, l'intérêt artistique, le flair. Et il fallait avoir du flair pour ressortir ce petit bijou, aventure de trois musiciens exceptionnels, Jean-Charles Capon au violoncelle, Georges Rabol au clavecin et Philippe Combelle aux percussions, qui en ces temps d'ouverture tentaient les rencontres musicales les plus diverses.
Le résultat est une musique originale, alternative, avec une instrumentation peu commune et un désir d'alliage sonore original. A une époque où la pop se psychédélise par le biais de la musique indienne, et où le jazz s'adonne aux musiques du monde, on voyage donc d'Afrique en Inde et en Asie. Quant à l'escale baroque, elle s'affirme avec une reprise juste de "Ombra mai fu", largo de Haendel. Les trois instrumentistes mettent en commun leurs efforts pour dépasser les frontières musicales, fusionner les esthétiques qu'ils affectionnent : funk et raga, jazz et pop. "Delhi day" nous emmène dans un morceau à l'évolution progressive, une transe que soulignent les tablas et le violoncelle, le clavecin trafiqué en tampura. "Zoma" le marché de la capitale malgache est une invitation à découvrir senteurs épicées et exotisme, à plonger au cur de ces tropiques qui flirtent avec tropismes. Le flûtiste Michel Roques, après une introduction amérindienne à la kena, s'efface devant le groove hypnotique du clavecin arrangé et les élans d'un violoncelle lyrique. "Latin baroque" traduit le style particulier du trio, sa façon de travailler sur des rythmiques brésiliennes pour ce titre, que chacun transforme au gré de son inspiration. Une musique du monde et ce terme n'était pas encore galvaudé, de tous les métissages (autre cliché actuel) qui incluent aussi leur part de souffrance.
Sans perdre ses repères, le trio prend tous les risques pour développer une musique libre, colorée, improvisée, qui swingue.Trente cinq ans après, on reste surpris devant la fraîcheur de ces compositions et leur étonnant pouvoir de faire voyager l'imaginaire. S'il n'eut pas le succès escompté - il fut même rapidement jugé ovni musical inclassable - cet album a aujourd'hui une valeur inestimable pour tous les obsessionnels des sons oubliés ou égarés, les amateurs de vestiges d'une période glorieuse où la production était libre de contrainte commerciale. Voilà que cet enregistrement existe, merci à L'Arôme Production de faire uvre d'archéologue des temps contemporains. Et même si nous n'aimons pas beaucoup le terme de "pépite", à la vue de cette pochette adornée, il faut se rendre à l'évidence, ils ont su exhumer des trésors de l'autre siècle, en orpailleurs compétents. Si cet ensemble n'a pas eu véritablement de "nom" dans le monde du jazz, il est temps de lui en faire un. On ne peut le ranger en effet dans le magasin des accessoires, avec les essais divers et autre tentatives de "Play back" d'un Jacques Loussier.
Un vrai régal, un peu nostalgique seulement... |
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