Quiconque ayant
connu les années soixante-dix se souvient des disques de J.J. Cale,
ces Lp pondus métronomiquement chaque année, d'une musique toujours
égale, parfaitement nonchalante, presque voluptueuse, idéale pour
atterrir en douceur à la fin des soirées enfumées, métaphore
sonore parfaite du fauteuil à bascule sur le porche en bois.
Pour les terriens
lambda, amateurs de musique compris, la carrière de J.J. Cale avait
donc logiquement commencé en 1971 avec l'album "Naturally",
pour suivre un chemin invariablement laid back, terme qui fut d'ailleurs inventé juste pour lui (les mauvaises
langues parlant du même disque répliqué chaque année), avec tout de même quelques fulgurances ou traits de génie ("Cocaine"
sur "Troubadour" 1976, "After midnight" sur
"Naturally" 1971 ) et surtout un succès toujours plus grand.
L'histoire du bonhomme paraissait aussi lisse que sa musique, tout au
plus savait-on qu'il vivait en Californie mais venait du Sud des
États-Unis et qu'il avait un caractère de cochon (n'avait-il pas quitté la scène un soir à Paris parce qu'il
"faisait trop froid" ?). On remarquait que ses disques était
publiés par Shelter, un tout jeune label américain qui lancerait
par la suite Tom Petty. On voyait bien également quelques noms
connus au dos des pochettes mais on en concluait juste que le type
avait dû se trouver au bon endroit au bon moment.
"
What's
this i hear ? The sound of Tulsa 1957-1961", une compilation
publiée par les Anglais de Cherry Red en 2015 levait un petit voile
sur une vie antérieure, avec six morceaux du Johnny Cale
Quintette qu'on imaginait petit groupe local de jeunesse.
C'est donc avec étonnement et grand intérêt que l'on découvre en détails, grâce à cette
biographie au Mot et le Reste, l'étendue de
la vie antérieure
de J.J. Cale. Une vie en musique qui démarre à vingt ans en 1958, au fil de nombreux
groupes, de fréquents aller-retours entre l'Oklahoma et la
Californie, en compagnie de potes d'enfance musiciens qui deviendront
eux aussi célèbres. Parmi eux, Delaney & Bonnie et Leon Russell, qui, première partie en 1969 de la tournée américaine de Blind Faith (super groupe d'Eric Clapton et Stevie Winwood), sont engagés par Clapton sur son premier album sous son nom ("Eric Clapton" 1970). Ils ont la bonne idée de lui faire enregistrer "After
midnight", une chanson très ancienne de J.J. Cale, jamais encore publiée. Une idée qui génèrera de confortables royalties. Il l'enregistrera sa version sur "Naturally".
Remarquablement
documenté, l'ouvrage de Bertrand Bouard part précisément de cette
chanson, une composition très ancienne de Cale pour ouvrir son
livre, qui n'est pas avare non plus d'informations étonnantes : qui
se serait par exemple douté qu'un des premiers groupes résidents du
Whisky A Go Go de Los Angeles en 1965 (quand y débutaient The Doors,
Buffalo Springfield, The Byrds et tant d'autres) était le combo de
J.J. Cale...
Cette histoire
passionnante, sorte de trou noir de l'histoire du rock, restait à
écrire. C'est chose faite.