| | | par Jérôme Florio le 28/03/2005
| Morceaux qui Tuent
Second lover's song
Look at me
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| "For women only", comme le nom d'un club privé, dans lequel règneraient la galanterie et la distinction. Très privé en effet, car fréquenté par peu de monde : Bergen White fait depuis longtemps partie de ces hommes de l'ombre, à l'œuvre derrière les disques des autres, qui ne sera jamais parvenu à faire décoller une carrière solo – peut-être par absence d'ego surdimensionné, par excès de modestie.
Bergen White est arrangeur et producteur à Nashville depuis le milieu des années soixante. Parmi ses coups d'éclat, son travail sur le tube "Polk salad Annie" (1969) de Tony Joe White lui a valu d'être sollicité par le King en personne, pour le compte duquel il a ensuite dirigé des sessions d'enregistrement. White avait auparavant sorti quelques disques au sein de Ronny and the Daytonas (un tube, "G.T.O."), puis un single sous son nom ("If it's not asking too much", ici en bonus) qui avait précipité son retour au travail dans les studios faute de succès. En même temps qu'il enregistrait "For women only" (1969), White continuait à fournir un travail alimentaire pour le compte du label Hit Records, spécialisé dans les disques à petit budget faits à la chaîne, et sur lesquels il s'est fait la main.
"For women only" ressemble à un jardin secret : œuvre d'un seul homme, c'est un concentré de mélancolie soft-pop, d'une douceur et d'une élégance constantes. Tout y est parfaitement bien coupé, les musiciens de studio assurent, les arrangements de cordes et de trompettes tombent juste – on pense à la pop très orchestrée de Left Banke ou Love, jusque dans le chant qui peut s'approcher de Arthur Lee, avec un côté plus "easy-listening" et policé. Vocaliste capable (il sera un Jordanaire – groupe vocal de légende - backing band par intermittence pour Elvis Presley), White signe peu de titres, mais ses choix en disent long : reprendre "Second lover's song" de Townes Van Zandt, sommet d'écriture d'une rare noblesse, est un signe qui ne trompe pas. Il fait aussi sienne "Look at me", écrite par David Gates, dans laquelle guitare classique et clavecin rivalisent de gravité madrée. "She is today", "On and on" sont plus up-tempo : on y reconnaît l'influence déterminante de Phil Spector dans cette manière de créer une pâte sonore riche, faite de juxtapositions d'instruments qui créent du volume, avec une rythmique appuyée. Le single "It's over now" est brillamment construit à la manière d'une symphonie de poche Brian-Wilsonienne.
Bon garçon, Bergen White fait preuve d'une civilité qui arrondit quelque peu les angles et rabote les affects - son interprétation de "Second lover's song" manque de l'inquiétude de Townes Van Zandt, White préfèrant humblement en faire une lecture respectueuse et équilibrée. Bien meilleur que d'autres "disques de producteurs" (David Axelrod par exemple), "For women only" est un étalon marquant de cette variété de qualité, un peu impersonnelle mais faite avec soin, une tradition qui court jusqu'à aujourd'hui (le récent "Nashville" de Josh Rouse).
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