Dans un pays où
des mannequins à l'effigie d'Angela Merkel sont fréquemment brûlés
sur la place de la mairie, il y a une certaine ironie, celle-ci
fût-elle fortuite, à voir un groupe athénien surfer sur le
krautrock en pleine crise économique. Le hasard objectif aurait-il
encore frappé ? Ou alors s'agit-il peut-être de nouvelles victimes
du modèle allemand ? Allez savoir. Alors que la Grèce ploie sous le
joug de la Troïka – Union Européenne, FMI, Banque Centrale – et
que de nouvelles lois scélérates sont votées chaque mois dans le
but de convertir la population à la soi-disant rigueur européenne,
un trio de jeunes inconnus semble nous jouer le couplet de la
servitude volontaire, adoptant sans rechigner et même avec un
certain succès les canevas du kraut et de la pop psyché. Et pourtant avec Baby Guru, les fleurons germaniques que
sont Neu !, Can ou Cluster sont invités à un banquet en compagnie
de Syd Barrett, Jim Morrison et les Aphrodite's Child dans le temple
d'Apollon fraîchement restauré pour l'occasion. Suivez-nous, c'est
au fond à gauche, juste après le port.
L'album débute
allegro avec le limpide "Necessary voodoo", tempo
à la Can et phrasé directement emprunté à Damo Suzuki. Si rigueur
il y a, ce n'est pas celle dictée par Bruxelles. Même les fans de
kraut seront déçus. Des trémolos jazzy sourdent déjà deci delà
entre les mailles du filet rythmique. Quant aux paroles, le ton est
donné : paganisme, mysticisme léger, magie et prophétie à la mode
de Delphes. Même dans "Children",
un des meilleurs morceaux de l'album, s'il est question de la crise
c'est encore de façon elliptique, tendance oraculaire. Le thème
principal du disque, n'en déplaise aux technocrates, reste le
soleil, dont il est question dans presque toutes les chansons (encore
un truc qui ne va pas arranger la réputation des Grecs). On entre de
plain-pied dans "Pieces"
dès le deuxième titre, le bien nommé "For naked sun",
à la fois psychédélique et méditerranéen, Syd Barrett en maillot
de bain offrant buvards et pochons aux passants à col blanc. Flûte
médiévale, ambiance pastorale, on entend même au loin une jeune
femme chantant sur la plage de sa voix éthérée. Bref, tous les
ingrédients semblent enfin réunis pour amorcer le redressement
productif des Cyclades et du Péloponnèse.
On ne va pas passer l'album au crible mais disons qu'il continue sur
cette lancée, alternant intelligemment pop psyché, ritournelles
sixties et rythmiques kraut bien ajustées. Mention spéciale tout de
même pour "Amayé" qui,
non sans malice, détourne le krautrock jusqu'aux rivages de
l'afrobeat (krautjacking
est un terme qui sera bientôt validé par Bruxelles). Serait-ce une
invitation, à peine dissimulée, faite à Angela, style rendez-vous
afterwork sur la plage de Lampedusa ? Toujours est-il que "Pieces"
cache en son sein toute une panoplie subliminale, une gamme de sons
et de mélodies qu'il est difficile de déceler d'emblée. L'album
est en effet plus malin et moins naïf qu'il n'y paraît et il faut
bien plus d'une écoute pour en saisir toutes les subtilités,
découvrir ses recoins cachés. Son credo est d'ailleurs peut-être
révélé en passant, au détour des paroles avouant telling
lies to feel alive, there's a thing going on inside...
Contre toute attente, la tendance solaire est brusquement éclipsée
lors des deux derniers morceaux : "Cyclamen persicum"
reste contemplatif et ombrageux, tandis que "Bog",
une sorte de trip hop bruitiste et marécageux, ne ferait pas injure
à la discographie de Tricky ou Portishead. Là aussi, le mystère
reste entier.
BABY GURU "For naked sun" (clip officiel)