A chacun son Amérique. Ce fut l’Arizona pour Jean-Louis Murat ("Mustango", 1999), le Tennessee pour Alain Bashung ("Osez Joséphine", 1991)… C’est vers Los Angeles et son quartier Laurel Canyon que s’évade Arman Méliès.
A la différence de ses deux aînés, Arman n’a pas fait le voyage de l’autre côté de l’Atlantique pour enregistrer son disque, mais dans l’Essonne, entre ville et campagne ; comme le réalisateur-illusionniste auquel Méliès emprunte son nom de scène, "Laurel Canyon" est un effort d’imagination mis en scène avec un faste certain.
Le disque s’ouvre avec "Avalon" : dans la légende arthurienne, c’est le nom d’une île invisible, dernière retraite du Roi Arthur. Dans la petite aristocratie du rock, des noms de lieux résonnent avec la même force quasi-mythique : c’est le cas de Laurel Canyon, où ont séjourné d’illustres disparus comme Jim Morrison (sa "Love street" avec Pamela Courson), Cass Elliott ou Frank Zappa… D’autres, encore bien vivants (Neil Young, Joni Mitchell, David Crosby, Iggy Pop…), peuvent attester de la réalité de l’endroit.
Le beau duo "Météores" peut être interprété comme une évocation de ces vies courtes et intenses qui ont traversé la mythologie rock (Morrison, Hendrix, Joplin…). Quand Arman Méliès (ou Hubert-Félix Thiéfaine, difficile à dire tant leurs voix sont semblables) chante "nous voulons la vie en mieux", il s’agit aussi bien de faire parler ceux du passé que d’une revendication pour le temps présent.
As des arrangements prisé par ses pairs (Bashung pour deux titres de "Bleu pétrole", H-F. Thiéfaine…), Arman Méliès se révèle un chanteur vibrant, plus libéré que par le passé. On est dans la haute couture musicale, faite de belles draperies et de guitares américaines (on pense à La Maison Tellier sur "La soif" et "La promesse", un jour il faudra rendre à César etc…). Ce n’est sans doute pas un hasard si les nappes de clavier de l’instrumental "Amor drive" nous ramènent vers les eaux troubles des musiques d’Angelo Badalamenti pour David Lynch dans "Mulholland drive".
Il est dommage que l’écriture des textes verse parfois dans la licence poétique qui manque de sens ("Modesta", "La mêlée"), ce qui nous fait un peu sortir du disque ; ou encore que "La promesse", "La mêlée" sonnent comme des redites. Heureusement les derniers titres reprennent du souffle et du lyrisme, notamment "Laurel Canyon" sur laquelle Méliès assure que "la vie est trop courte pour qu’elle soit petite", avant de laisser crever l’orage.
Arman Méliès réussit à faire de son "Laurel Canyon" à la fois un jardin d'Eden et un espace mental au grand pouvoir d’attraction. La dernière chanson "Vise le cœur" : touché.