| | | par Sophie Chambon le 02/05/2006
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| Huit musiciens, quartette de jazz et quatuor de vents et la divine Elise, la diva Caron, en neuvième superlative, pour un jazz chambré, les "Sade songs". Archimusic, depuis 1993, est la rencontre impromptue de musiciens d'horizons différents que dirige le saxophoniste Jean-Rémy Guédon, homme-orchestre créateur d'une musique surprenante, ingénieusement située entre écrit et improvisation.
La logique commerciale ne supporte pas le désordre. Styles et genres ne s'additionnent pas, fusionnent encore moins, mais s'accordent tout simplement dans ces formidables épousailles où la spirituelle Elise, qui sait aussi se faire bête de scène, s'unit à tutti dans le concert des respirations parallèles : harmonie délicate du basson et du hautbois, "L'imagination", phrasé vocal des clarinettes, éclat de la trompette et des saxophones, "Lois et passions", percée rythmique de la batterie et de la basse. Elise sait faire passer le texte le plus indigeste "Les supplices" (il fallait bien rendre au Marquis sa part de l'ombre) en susurrant presque. S'il faut prêter l'oreille à son murmure, les musiciens entrent dans cette marche funèbre avec excitation, dans une surenchère des cuivres et des vents.
Ondulant voluptueusement sous le souffle ininterrompu, ces "Sade songs" (le titre aurait pu plaire à Gainsbourg) fêtent l'imagination musicale, au gré de surprises sonores, humoristiques, classiques, percussives. Le format "chanson" paraît le mieux se conformer à ce spectacle complet, collection de perles sonores, reliées par un fil continu, le texte du baroque Marquis. En replaçant l'origine du scandale dans la révolte, le choix des extraits par Jean-Rémy Guédon "réhabilite l'homme", l'écrivain, le philosophe éclairé du XVIIIème siècle : "Oh, homme, est-ce à toi qu'il appartient de prononcer sur ce qui est Bien et ce qui est Mal ?". Une personnalité qui ne peut qu'inspirer tout créateur, a fortiori un compositeur de jazz. "Les individus qui ne sont pas animés de passions fortes ne sont que des êtres médiocres... et je te pardonnerai d'être moraliste quand tu seras meilleur physicien."
L'hommage s'exprime dans une écriture musicale insolente et savante, sculptée à même la matière sonore. Le corps à corps opère avec Sade sans la moindre affectation, ses mots ont du goût, et le sens reste toujours "lisible". Comme si le texte devenait musique quand il n'en peut plus d'être dit et la musique, texte, quand elle s'épuise à n'être que musique. L'écoute s'abandonne alors entre texte et musique tressés amoureusement, le son pousse le sens, mais le sens surgit aussi du son. Unis par leurs limites mais aussi leurs connivences sonores, les textes sont innervés du jeu des mots, qui sont aussi jeux de sons. Les paroles que nous lance Elise de son énonciation parfaite, avec une réelle jubilation, collent aux mélodies écrites par Jean-Rémy Guédon, dans ce conte musical (pour adultes) où "les sensations communiquées par l'organe de l'ouïe sont celles qui flattent davantage".
On appréciera donc l'exercice à sa très juste valeur. Encore qu'une version scénique soit déjà en place, et on l'imagine absolument délectable : happening sonore dans un théâtre dombres chinoises, né du talent de Jean-Lambert Wild et sa Coopérative 326 ainsi que de l'imagination de l'illustrateur Stéphane Blanquet. Que la fête commence !
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