Electronica | | 2001 | Album Original | Un CD Warp / Import 2001 |
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| | | par Martin Dekeyser le 26/11/2001
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| Grand provocateur devant l'Eternel, Richard David James (aka Aphex Twin) nous gratifie d'un double album de plus de 100 minutes intitulé "Drukqs" (mais n'y voyez aucune allusion...). Il pousse le vice jusqu'à intituler ses morceaux dans un dialecte mélangeant le Celte, le Gallois et le patois des Cornouailles. Il ne proposera très certainement aucun clip et se force à accorder quelques interviews. On pourrait qualifier sa démarche promotionnelle de strict minium syndical. Au risque de décevoir certains, il ne sort l'album que pour se faire de l'argent puisque la musique, c'est pour son usage personnel avant tout. Enfin, "Drukqs" ressemble plus à un 'best of' de tout ce que le jumeau sous acide à réalisé jusqu'à présent puisqu'il refuse de sortir des morceaux novateurs afin d'éviter qu'ils deviennent rapidement obsolètes ou pillés par les trop nombreux charognards qui rôdent. Il vous faudra donc attendre quelques années avant de connaître les compositions 'cuvée 2001' de Richard. Bref, un bel emmerdeur pour certains, un génie qui refuse tout compromis pour d'autres. En attendant, il veut bien nous laisser ses restes et quels restes ! "Drukqs" est un très large éventail des musiques électroniques et des nombreuses possibilités de ce bourreau de travail (l'énergumène aurait chez lui des centaines de morceaux en stock). L'album débute par une petite berceuse pour androïde ("Jynweythek") enchaînant très simplement avec un mélange délicieux de noirceur des breakbeats jungle déstructurés avec la naïveté d'une mélodie sans fioriture aucune ("Vordhosbn"). On poursuit par une composition au piano comparable à certains bricolages instrumentaux de John Cage ("Kladfvgbung Micshk"). "Gwarek2" est un amoncellement de bruits et de cris sans aucune structure rythmique tel que pouvait la pratiquer la scène industrielle à ses débuts (cf Throbbing Gristle). Entre autres points d'arrêts significatifs, on peut citer une vision oppressante de l'ambient ("Gwety Mernans") et quelques morceaux aux claviers un peu mélodramatiques qui ne sont pas sans rappeler Michael Nyman ("Petiatil cx htdui", "Nanou2"). Vous voilà prévenus : "Drukqs" se consomme lentement, s'apprécie comme un bon roquefort et laisse petit à petit la dépendance prendre place. Co-fondateur du label Rephlex pour lequel il diffuse des compositions sous le pseudo d'AFX, Richard D James a décidé de quitter Warp pour créer un nouveau label avec Tom Jenkinson (aka Squarepusher) pour sortir ses futures productions sous le pseudo d'Aphex Twin. Mais outre la qualité de ses créations, ce qui sidère c'est la capacité qu'a eu ce garçon de concilier un large succès populaire avec certains préceptes issus de la scène industrielle de la fin des années 70. On retrouve chez lui, par exemple, ce souci de préserver le caractère subversif de la musique en s'assurant tout d'abord de la réceptivité de l'auditeur par la provocation. Ensuite, en lui proposant une anti-musique qui se définit par une ouverture au-delà des structures mélodiques et harmoniques trop limitatives. Certes, il n'a pas délesté la composition au profit de l'improvisation comme certains groupes industriels (il avoue néanmoins laisser faire ses machines de temps à autres). Mais il s'intègre dans leur souci de décontenancer l'auditeur par une musique et une iconographie (clips) oppressantes, violentes, répétitives et bruitistes à certains moments. Tout comme eux, il réagit face à l'hypermarchandisation en créant des structures autonomes de diffusion et en multipliant les pseudos et les styles abordés afin d'éviter l'étiquetage abusif. Il s'aménage des outils spécifiques de création en élaborant de nouveaux logiciels de traitement sonore ou des synthétiseurs bricolés dès son plus jeune âge. Conscient de la part d'aliénation et de déshumanisation inhérente à chacun d'entre nous, il n'hésite pas cependant à mêler à tous les éléments précités un souci d'authenticité et d'expressivité comme pour nous montrer que cette ambiguïté n'est pas une fatalité. A nous de la cultiver et retrouver par là-même le sens de la mesure de notre humanité. Ce qui ne l'empêche donc pas de promouvoir l'aspect festif et hallucinogène de la musique tout en multipliant les références à la musique savante. Un grand cynique ce Richard ! |
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