| | | par Stéphane Faivre d'Arcier le 18/09/2005
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| Le groupe new yorkais Antony and the Johnsons propose un disque d'une exceptionnelle densité, touchant à la fois à l'intime et à l'universel.
Antony se met à nu et révéle plus de lui même à l'auditeur, au travers toutes ces histoires de "dames", ces frères et/ou soeurs des night clubs new yorkais qu'il connait bien, pour en avoir été l'un des acteurs : dans les années 1990, Antony se produit sur diverses scènes new yorkaises, dans des performances théâtrales et musicales expérimentales. Il fonde les Jonhsons en 1995, du nom de Marsha P. Johnson, activiste pour les droits des gays et transexuels au début des années 1970.
Le disque peut être appréhendé comme le parcours personnel d'Antony vers la délivrance, une évolution à la recherche de son identité: aujourd'hui, il est un garçon, un enfant dans le corps d'un homme. Mais demain qu'en sera-t-il ? S'il fait preuve de détermination et de courage ("one day I'll grow up, i'll be a beautiful woman / of this I'm sure"), il n'en est pas moins assailli par les doutes, la peur d'échouer et de renoncer dans cette lutte de tous les instants contre les convenances ("guilt and shame all over me"), la fatalité ("tu seras un homme, mon fils" : tel est le message que lui adresse l'autorité parentale, la société, les bien-pensants). L'ambiguïté sexuelle est le moteur apparent de ce disque, mais le masque tombe rapidement : il s'agit bien de nous faire partager les craintes, mais aussi l'espoir de la renaissance, la métamorphose d'un être enfin libre de prendre son envol ("Free at last"). Somme toutes, des thèmes et des aspirations bien humains et si ordinaires...
Il espère secrètement que quelqu'un l'aidera à faire face ("Hope there is someone") pour se libérer de la prison physique dans laquelle il est enfermé malgré lui; on l'imagine compter les jours, comme sur un calendrier "retrouvé dans une des cellules d'une prison abandonnée".
Mais Antony n'est pas seul: il sait pouvoir compter sur le réconfort et le soutien d'êtres de lumière qui lui ressemblent tant, dans leur manière de ressentir les joies et les peines, les désirs et les manques du quotidien. Il y a Candy Darling, égérie warholienne (la Candy de "Walk on the wild side" et de "Candy says"), ici photographiée "sur son lit de mort" par Peter Hujar. C'est encore Divine, (Antony lui a rendu hommage sur le premier disque du groupe), travesti et acteur-icône du réalisateur John Waters ou son amie Page, une "Candy Darling des temps modernes", photographiée sur la table d'opération. Les amis du présent sont là aussi : Rufus Wainwright (duettiste sur "What can I do"), Boy George sur le somptueux "You are my sister", Devandra Banhart (une grande source d'inspiration), et surtout Lou Reed (sur un "Fistful of love" inspiré d'un poème de Marc Almond), idole de jeunesse qui parraine aujourd'hui la carrière d'Antony (leur rencontre se fait sur scène, en interprétant le classique "Candy says" de Lou). Tous ici font preuve d'une décence et d'une retenue exemplaires, leur présence est dénuée de toute prétention et ils s'insèrent corps et âme dans l'aventure.
Antony se présente tel qu'il est, sans se cacher derrière une personnalité d'emprunt ou une orchestration démesurée. On est loin du songwriting théâtral et dramatique qui semble se dégager du premier disque du groupe, paru en 2000 et sur lequel Antony paraissait intouchable et immaculé, à l'instar de la pochette : extraterrestre au teint blafard, figé, intouchable.
Il est ici question d'intimité, de proximité avec l'auditeur. L'accompagnement musical du groupe se veut économe, discret. Conséquence : les clichés, le pathos et le sentimentalisme larmoyant que l'évocation de tels sujets laissent supposer sont ainsi largement balayés. Tout s'articule autour de cette voix, celle d'Antony, aérienne, vulnérable et pourtant si forte, celle d'un oiseau rare dont on souhaite qu'elle ne soit pas le chant du cygne, mais celui d'une espèce protégée. |
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