| | | par Filipe Francisco Carreira le 25/01/2002
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| En 1999, lors d'un passage remarqué sur scène, Wayne Coyne des fabuleux Flaming Lips annonçait la chanson "Waitin' for a superman" en ces termes : "Cette chanson est triste... Mais si vous êtes comme nous, alors les chansons tristes vous rendent heureux." Entre le groupe d'Oklahoma et la tradition portugaise, le rapport est mince, pourtant il y a dans cette phrase la clef du fado : cette douleur qui étrangement soulage, ce mal qui fait du bien. Qui permet d'éviter l'oubli, d'éradiquer l'ennui. Et fait se sentir vivant. 1999, c'est aussi l'année où le fado perdit Amalia Rodrigues sa plus grande voix. Issue d'une famille pauvre de Lisbonne, Amalia Rodrigues avait débuté en vendant des fruits. Le chant, elle le réservait aux fêtes populaires et aux voisins. L'un d'entre eux, bouleversé, eût la brillante idée de la présenter au "Retiro da Severa", une maison de fado qui n'allait pas tarder à l'engager. En 1940, le destin d'Amalia, alors à peine âgée de vingt ans, était scellé, les représentations s'enchaînant aux disques... Bientôt, le monde entier découvrait son immense talent, l'Espagne d'abord, puis le Brésil. Adoptée par la France, couronnée au Japon, elle gagnait son titre de 'grande voix du siècle' aux côtés de Frank Sinatra et d'Edith Piaf. Mais le 6 octobre 1999 vint rappeler qu'elle était mortelle... La nuit suivante, je traversais l'Alentejo en voiture. Dans cette région semi-désertique du sud du Portugal, la nuit était lourde, opaque et je m'enfonçais le long d'une voie bordée d'arbres aux formes irrégulières sur lesquels la seule lumière de mes phares dessinait des ombres étranges. La radio retransmettait un concert enregistré à l'Olympia en 1956 et ses chansons m'apportaient une chaude et indispensable présence. Un orage éclata alors. Un orage diluvien. Comme si la voix de la grande Amalia, si profonde et si intense, appelait ce déchaînement de la nature. Comme si seul un orage de cette force et de cette violence pouvait rivaliser avec ses chansons tourmentées. Ayant survécu, je décidai de profiter des rééditions et me procurai "Com que voz", une de ses oeuvres marquantes. En France, ses albums originaux demeuraient introuvables. Le coffret que lui consacre EMI corrige le tir, son titre "Amalia absolue : une histoire d'amour avec la France" soulignant le paradoxe. C'est une réussite. On y retrouve l'intégralité de l'album "Com que voz", au milieu des trente-six compositions signées Alain Oulman et classées en abécédaire. Amalia adapte divers poètes de langue portugaise, Luis Camoes, Cecilia Meirelles ou Pedro Homem de Mello. Certains esprits chagrins lui reprochaient ces adaptations, l'accusant d'hérésie, de vol... Ils avaient raison ! Amalia Rodrigues ne se contente pas d'interpréter des classiques, elle se les approprie. Des histoires de perte ("Gaivota"), de rêves inaccessibles ("As maos que trago") ou enfouis au fond d'un océan indifférent ("Naufragio") dont elle fait sa propre histoire. Et la nôtre par la même occasion. Si le premier disque fait la part belle aux chansons fatalistes, le second n'est pas dénué de surprises et on y croise même des chansons gaies : "Maria Lisboa" raconte sur un rythme primesautier le quotidien d'une marchande de poisson à Lisbonne et "Formiga bossa nova" joue à la comptine insouciante. Mais bientôt le vernis craque et la mélancolie ressurgit, à l'image de "Havemos de ir a Viana", faussement joyeux. Le troisième disque rassemble des chansons enregistrées en français, des classiques des autres, "La vie en rose", "L'important, c'est la rose" ou le particulièrement poignant "Paris s'éveille la nuit", ou les siens adaptés, "La maison sur le port" ("Vou dar de beber a dor"). Enfin, le bouquet final est le concert de Bobino en 1960. Amalia remercie le public parisien dès son entrée sur scène, sans que la moindre note ait été jouée. Tirée du film "Les Amants du Tage" d'Henri Verneuil, "Barco negro" s'étire sur un rythme à la fois langoureux et puissant et symbolise à merveille l'art d'Amalia : si la mélancolie n'est jamais loin, l'océan non plus. Lieu d'espoir et de déception, de conquête et de reddition, il infiltre chaque mélodie et inspire jusqu'aux intonations d'une voix qui marie sa puissance à notre fragilité. Et nous fait perdre nos esprits. Un regret pourtant : nulle part, il n'est question de "Cansaço" qu'Amalia chantait les larmes aux yeux. Toujours. |
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