| | | par Fabien Gabaig le 20/02/2014
| Morceaux qui Tuent Bang bang Saturn drive duplex Fear Let the blood drip Prison sacrifice
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| Dans un documentaire consacré au livre
numérique, Nick Tosches, avec sa faconde albanaise, un verre de
scotch à la main, tournait en dérision les ebooks. On imagine mal
les grands prêtres assyriens, sous les remparts de Ninive, nous
disait-il, ordonner des sacrifices humains tout en manipulant des
iPads à la place de tablettes d'argile. Nick, si tu nous écoutes,
sache que tu es le grand scribe du riff et de la blennorragie et que
tu nous as bien fait marrer, mais les temps ont bien changé. Si
Sardanapale ordonnait un massacre aujourd'hui, il le ferait sans
doute depuis son BlackBerry. Et si Elvis sortait encore en boîte, il
se mettrait peut-être à la techno. Avec des si on pourrait refaire
le monde et jusqu'à preuve du contraire, c'est ce que fait Alan Vega
depuis le début des années 1970. Si les incunables étaient ces
livres rares qui, à l'époque de la Renaissance, hésitaient encore
entre la forme écrite et la forme imprimée, alors la plupart des
disques d'Alan, du premier album de Suicide en 1977 au "Sniper"
de 2010, sont à compter parmi les incunables de la musique
enregistrée.
Bon, tout ça c'est bien joli mais
venons-en aux faits. Réalisé en duplex entre la France (pour la
musique de Marc Hurtado) et New York (les studios 6/8 pour la voix de
Vega), voire même Barcelone (pour le featuring de Lydia Lunch sur
"Prison sacrifice"), ce disque perpétue la geste du troisième
millénaire avec quelques longueurs d'avance sur le réseau satellite
et les prévisions les plus folles – et, cela va sans dire, dans un
registre autrement plus bruyant. Imaginez Elvis revenu d'entre les
morts, ayant enfourché un bolide et roulant à contresens sur le
pont de Brooklyn. En passant, il gueule des trucs aux automobilistes
bloqués dans les embouteillages, éructe des slogans sibyllins au
sujet de la guerre civile et
des radiations nucléaires, de Guantanamo et de Treblinka, le tout
sur fond de trance indus et de rugissements de moteurs. "Sniper"
c'est un peu comme ça : chaque morceau vous tombe dessus comme un
flash info présenté par le cadavre du King boosté à la techno.
Quant aux nouvelles, est-il besoin de le préciser, elles ne sont pas
très bonnes.
Après la synthèse électro rockabilly
du Suicide 77, l'association Vega-Hurtado a la même couleur qu'un
cocktail indus dark gospel. "Sniper" semble être un des récents
incunables du nouveau millénaire. Vega est dans la profération, en
mode rockstar céleste ; Hurtado dans la techno futuriste et la
musique concrète. Pendant que "Bang bang" tire à vue et nous
envoie des rafales d'électro granulaire, entre les sons d'usine et
les bruits de combustion amplifiés, "Saturn drive duplex" sonne
comme un hit aérien, un tube crépusculaire*. Décollage immédiat.
Direction Saturne. Comme dirait notre Président : la SF, c'est
maintenant.
MARC HURTADO ET ALAN VEGA Saturn drive duplex (vidéo officielle)
* "Saturn drive duplex" est en fait une reprise - épurée et élégiaque - d'un morceau figurant sur l'album "Saturn strip" sorti en 1983 sur le label Elektra.
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