Livre Biographie Romancée | | 2005 | | livres Fayard 2005 |
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SPIRALE | | |
| | | par Sophie Chambon le 01/10/2005
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| Le jazz se consomme un peu comme une drogue, on en devient vite dépendant. Cette musique si essentielle à beaucoup d'entre nous est alors une inépuisable source de fictions. On ne transforme pas au hasard les musiciens de jazz, ces êtres solaires tragiquement exposés, en figures de papier. Ayant choisi son chant pour accompagner le livre de sa mémoire, Alain Gerber nous propose - après Louie Armstrong, Chet Baker, et Charlie Parker - sa vision fascinée de Billie Holiday, "la plus grande chanteuse de l'histoire de la musique afro-américaine au XXème siècle".
Dans cette biographie romancée en six chapitres, allant de 1914 à 1959, il est parfaitement inutile de chercher à démêler le vrai du faux, ou de tenter l'impasse de la reconstitution. Ce dernier épisode de la série "Le jazz est un roman" ne sera pas une biographie savante et documentée : Alain Gerber, omniscient créateur de polyphonies, réécrit bravement une vie, en mettant en scène des histoires d'amours. Quinze femmes témoignent, avec Billie et Lester, sous forme de monologues intérieurs, révélant des amours sans issue, plus que contrariées, "à contre-pied" avec des amants infréquentables et des maris minables. Le prologue s'ouvre sur l'enterrement de Lester Young, qui a précédé de quatre mois seulement le passage de Billie vers l'autre rive. Mary, l'épouse du saxophoniste, souligne bien involontairement l'attachement de celui qui, dans ses chorus, n'a jamais cessé de s'entretenir avec son "amoureuse". Les autres hommes qui, à tort ou à raison, comptèrent dans la vie de cette héroïne flamboyante n'auront pas droit à la parole.
Sans tomber dans l'hagiographie, ni dans l'apitoiement envers une victime trop souvent consentante, Alain Gerber dresse un portrait légitime, qui n'efface pas la part de l'ombre d'une chanteuse qui, si elle ne put apprivoiser une solitude inévitable et destructrice, sut inventer sa vie, ajuster à sa mesure des chansons populaires, s'appropriant la façon de les rythmer et de broder sur leur tissu harmonique. Dès les premiers chapitres, la voix de Billie nous parvient, puissante, étrangement rauque, déjà vulnérable
jusqu'à la fêlure des derniers enregistrements, où Lady Day apparaît incertaine, vacillante, douloureuse. Elle disait qu'elle mourrait seule, dans un hôpital, entre deux flics. Elle le savait. Alain Gerber le prolifique, nous invite à remonter le cours de cette vie tumultueuse, et à accompagner Eleanor Halliday sans jamais plus vouloir la quitter. |
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