Rare / Well done

Al Kooper

par Francois Branchon le 25/03/2002

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Making plans for Nigel


Chacun connait Al Kooper d'une manière ou d'une autre. Si le nom du musicien protée (multi-instrumentiste, producteur, arrangeur) n'est pas instantanément identifiable, il est associé à une longue liste d'événements musicaux du monde du rock, depuis longtemps. Responsable de l'orgue inoubliable derrière "Like a rolling stone" de Bob Dylan (un passeport pour l'éternité !), il est aussi celui qui a formé deux groupes légendaires des sixties, The Blues Project et BS&T (Blood, Sweat & Tears). Mais Kooper a aussi écrit des classiques, "This diamond ring", "Short shorts", a traîné avec Hendrix, découvert Lynyrd Skynyrd, produit une multitude de groupes (Eddie & the Hot Rods, Nils Lofgren, The Tubes, Phil Judd de Split Enz...) et pondu de grands albums, en solo ou avec ses amis ("Super session", "Live adventures" avec Mike Bloomfield et Stephen Stills). En attendant les rééditions de ses albums originaux (pour l'instant seulement disponibles au Japon), Al Kooper a supervisé la production de cette compilation en deux volets, au titre parfaitement adapté : un premier volume "Rare" de 19 titres rares ou inédits et un deuxième "Well done" de 14 de ses meilleurs morceaux. "Rare" couvre ses 35 ans de carrière et s'ouvre par une nouvelle version de "I can't quit her". Pas le meilleur choix pour démarrer le voyage, le Kooper 2001 s'aventurant dans un rock cliché rappelant les prestations de Monsieur Paul, le groupe du David Letterman Show ! (la version live de ce classique - présent sur "Well done" - le prouvant sans problème). Dès la deuxième plage, on respire et pense que tout rentre dans l'ordre, la musique 'rocke' à nouveau avec la démo de 1964 de "Somethin' goin' on". Pleine d'âme, frôlant le gospel, incroyablement profonde, la chanson est à mille lieux de la production du moment, Beatlemania en tête. La voix de Kooper remue instantanément les tripes, autant que ses parties de piano, d'orgue et de guitares. Fabuleux ! (le morceau apparaîtra plus tard sur l'album "Child is father" de BS&T). Mais "Rare" soudain replonge, avec "Autumn song" (2001), guère plus passionnant que la musak des années quatre-vingt, et "I can't stand the rain" (1988), un peu meilleur, mais avec une atroce section de cuivres sonnant synthétique. Cette agaçante partie de yo-yo chronologique perturbe gravement le 'groove' de l'album, fait regretter que certains titres (anciens) soient restés dans leurs tiroirs quand d'autres (récents) n'auraient jamais dû en sortir. Ainsi ce "I let love slip through my fingers" (1986), pataugeant dans la guimauve (on dirait Lou Rawls !), "Bulgarya" (1993), vaseux et pompeux, "Living in my own religion" (1993), ennuyeux, "The big chase", perclus de synthétiseurs casse-couilles... Heureusement, grâce à ses vieilleries sublimes, Kooper s'impose : une version live de 1971 du classique "Baby please don't go", bluffante, Kooper s'escrimant devant son piano sur près de neuf minutes, "New York my home" son premier single en 1965, croisement singulier et étonnant de Beach Boys et de Dave Brubeck, une reprise de "I believe to my soul" de Ray Charles, traitée funky-blues, avec en guest la guitare (comme toujours merveilleuse) de Mick Taylor, alors en lévitation maximale avec les Rolling Stones, une version de "Went to see the gypsy" de Bob Dylan (composée pour l'album "New morning" mais non retenue), valant nettement celle de Dylan, guitare superbement sixties. Hors catégorie, la version renversante traitée musique de limonaire pour maison de poupée de "Making plans for Nigel" de XTC et l'orchestration pour big band de "Hey Jude" des Beatles, un rien trop 'Vegas'. Le volume "Well done" ne pose lui aucun problème d'appréhension, il est 'classique' et sans reproche : "I can't keep from cryin' sometimes" et "Flute thing" (de Blues Project), "I love you more than you'll ever know" (BS&T), "Albert's shuffle", "Bury my body" et "Season of the witch" (des différentes 'sessions' avec Stills, Bloomfield ou Shuggie Otis), et une poignée d'extraits de ses albums solo "I stand alone", "you never know who your friends are" et "Easy do it"... Morceaux pleins de blues et de soul, un régal d'entendre à la suite ces bouts d'histoire, œuvres d'un musicien clairement inspiré. Au gré du livret, fort riche, on peut relever des commentaires d'amis musiciens. Celui du sultan de Swindon, Andy Partridge de XTC, vaut conclusion : "Al Kooper fait partie de cet étrange monde de l'ombre, ignoré du Rock'n roll Hall of Fame, ces hommes qu'on remarque derrière les disques célèbres. Il est Atlas, ou Hercule, ou quelque chose comme ça... On dirait qu'il tient entre ses mains le monde rock américain, Al Kooper c'est ce genre de type". Al Kooper fut un temps directeur artistique chez Columbia à New York. Quelques mois seulement. Pas le genre à survivre dans une maison de disques...