Quarante ans, ce n’est pas seulement l’intervalle qui sépare deux disques d’ABBA : c’est aussi l’anniversaire du label bruxellois Crammed Discs ainsi que d'Aksak Maboul, son groupe emblématique, les deux bébés du patron-musicien Marc Hollander. "Figures" est le premier disque de chansons originales depuis… 1980 ("Ex-Futur album", paru en 2014 sous le nom de Véronique Vincent & Aksak Maboul, était l’achèvement de compositions enregistrées entre 1981 et 1983).
Toujours porté par Marc Hollander, Aksak Maboul est l’ADN du label Crammed Discs dont tout le catalogue reflète ce mélange de rencontres et d’hybridations : depuis le post-punk de Tuxedomoon ou Minimal Compact, en passant par Dominique Dalcan, Hector Zazou, le carton de Bebel Gilberto avec "Tanto tempo" (2001) ou plus récemment la merveilleuse Yasmine Hamdan…
Alors que d’autres se racornissent avec l’âge, le roboratif double disque "Figures" s'élève avec énergie contre cette fatalité. Plus que jamais ouvert aux quatre vents, il n’impose aucun contrôle aux frontières : rock, électronique, jazz, musique contemporaine et extra-européenne… sont collés et bidouillés ensemble avec humour et un appétit intact par Marc Hollander. Aksak Maboul est structuré autour de la charnière Hollander – Véronique Vincent, qui est au chant et écrit les textes depuis 1980 ; mais pour donner corps à ce festin internationaliste, Hollander invite des membres d’Aquaserge, Fred Frith (guitariste expérimental qui a fait partie de l’effectif aux débuts du groupe) ou encore Steven Brown (de Tuxedomoon, au chant sur le duo "Dramuscule").
Les textes surréalistes de Véronique, au chant qui penche parfois vers l’atonalité, s’accordent à l’ambiance musicale colorée et tribale ; les chansons sont structurées mais subverties par des éléments d’improvisation, des programmations électroniques et des ruptures rythmiques inattendues. Dans tout ce patchwork, on trouvera des bizarreries brésiliennes, comme du Astrud Gilberto synthétique ("C’est Charles", "Silhouettes"), des titres percussifs ("Taciturne") ou dansants (la transe de "Histoires de fous", on pense à Altin Gül, autre groupe cosmopolite). Sur le deuxième disque, des miniatures poussent le curseur de l'expérimentation et du collage.
"Figures" donne le tournis et procure une légère ivresse - même si parfois la migraine n'est pas loin. Quand Véronique Vincent assure sur le dernier titre que "Tout à une fin", on ne parvient pas vraiment à la prendre au mot.