A Certain Ratio a tout bon pour les biographes du rock : formé en 1978 à Manchester par Simon Topping (chant, trompette), Martin Moscrop (guitare, trompette), Jeremy "Jez" Kerr (basse), et Peter Terrell (guitare), c'est le premier groupe signé par le mythique label Factory Records. Après un single raide et entêtant, "All night party" (première sortie du label !), comme éclairé par un violent contraste noir et blanc (on pense à Bauhaus), le batteur black Donald Johnson rejoint le groupe. Musicien accompli, il apporte avec lui une véritable révolution rythmique, faisant sonner la musique de ACR comme celle d'un robot qui danse le funk.
Sorti à l'origine sur K7, "The graveyard and the ballroom" est une collection de singles et de b-sides plutôt qu'un premier disque à proprement parler. L'unité de l'ensemble doit beaucoup à la production-signature de Martin Hannett (Joy Division, ESG...) qui est parfaite, d’une sécheresse intransigeante. "Do the du" et "Faceless" attaquent très fort : ACR associe l'énergie post punk avec un côté machinique dont la rythmique, bien humaine cependant, est d'une régularité implacable. On y entend des échos du Bowie de "Station to station" (1976) et on ressent aussi les vibrations du mouvement new yorkais no wave (la compilation No New York", 1978).
Danser a rarement été aussi proche de l’injonction, de l’ordre sans appel : un acte quelque peu martial, dénué de plaisir - d’où le côté un peu pervers et infectieux de la musique du groupe. En revanche, on ne retient pas grand-chose de leur look bizarre, un peu moche, entre surplus de l'armée et chemises brunes... La voix de Simon Topping ne se départit jamais d’un ton affecté, étranglé que l’on retrouve, en plus habité, chez le collègue de label Ian Curtis (Joy Division) : c'est l'angoisse sur le dance floor, la tête paniquant de ne pouvoir se faire obéir d'un corps qui se voudrait souple et félin, mais qui ne sait que pogoter les membres raides.
